Église de Scrignac, en 2010, via Wikipedia
Au village de Scrignac, le matin du 15 juillet 2020, tous les habitants, à peine réveillés, relayèrent la nouvelle qui n’était, à ce moment-là, pour la plupart d’entre eux, encore ensommeillés qu’ils étaient par la nuit qui avait suivi les festivités, qu’une rumeur des plus cocasses et pour le moins déroutante. Mais tandis qu’une à une les familles déjeunaient et s’apprêtaient à sortir dans les rues du village, celles-ci connurent un afflux inhabituel pour un matin d’été, jusqu’à ce qu’un considérable attroupement se formât sur la place centrale. Agglutinés sur le parvis de Saint-Pierre, les villageois réunis dessinaient un demi-cercle, qui ressemblait à un croissant de lune, en regardant, éberlués, les yeux rivés devant eux, l’emplacement qui était vide. Ils devaient se rendre à l’évidence : l’église avait disparu. À l’endroit où, hier encore, s’élevait le saint édifice, il ne restait qu’un terrain sablonneux, immaculé, en tout point identique à celui que les jardiniers entretenaient alentour. Après quelques instants d’un silence marmoréen, à peine couvert par les murmures et les bruissements des témoins stupéfaits de cette diablerie, l’évènement commença à soulever un concert d’interrogations, qui fit rapidement place à un tonnerre d’indignation, d’autant plus que la disparition était parfaite, la réalité implacable, la vision aussi nette que possible.
Un homme bien connu des habitants de Scrignac, en la personne du maire, s’approcha du prêtre de la paroisse, qui priait en observant ostensiblement une attitude flegmatique, et lui adressa, déboussolé, ces quelques mots de solidarité :
— J’espère qu’il n’y avait personne à l’intérieur de l’église, pendant la nuit...
Le prêtre, offusqué, lui rétorqua :
— Pourquoi ? Pourquoi ?
— Parce que s’il y avait eu quelqu’un, il serait porté disparu.
— Mais non ! Mais non ! Bien-sûr qu’il n’y avait personne, c’est absurde de penser ça, voyons !
— On ne peut que s’en féliciter, conclut le maire, qui alla rejoindre ses conseillers.
La journée s’annonçait longue, mais déjà, les familles reprenaient leur routine, en s’efforçant d’oublier ce qui n’avait ni vraiment de nom ni de comparaison. Chacun était encore sous le choc, personne n’avait rien vu venir, et nul ne savait quoi penser. Devant l’impossible, l’irrationnel, l’absurde qui confine au mysticisme, nous sommes partagés entre un sentiment de crainte, un besoin d’effacement, et la recherche de la faute. À qui la faute ? Personne n’osait en parler. Des idées, on s’en fait toujours, mais quand survient un événement aussi fou que celui-ci, personne n’a l’audace de dire exactement ce qu’il pense. Du moins, pas immédiatement, pas avant le temps de la réflexion. Avec le temps, comme envers toute disparition, le deuil s’accomplit, quel qu’il soit, celui de son prochain, d’un parent, la mémoire d’un disparu, ou un monument, comme cette église, une tombe ensevelie, une adresse oubliée, une maison désertée avec ses quelques meubles, ses habitants, ses souvenirs, tout ça ressassé par les marées du temps, jusqu’à leur évanouissement dans l’océan du monde, jusqu’en nous-mêmes aussi. La mémoire, source de vie, reprend alors la parole, et ce sont des mots utiles, des signes d’humanité, des témoignages d’amour, qui restent après tout le reste.
Nombre de petits groupes, qui s’étaient déplacés pour assister au phénomène, tournaient progressivement le dos à l’église disparue, lorsqu’un enfant, un petit garçon d’environ six ans, qui avait échappé à la vigilance de ses parents, courut vers l’entrée du sanctuaire, nommée narthex, et se promena dans la nef en souriant, étrangement guidé par une intuition qui rend les jeunes enfants, en secret, plus grands que les adultes. En se dirigeant vers l’autel, il trébucha sans se faire mal, seulement étonné par l’apparente absence d’obstacle sur son chemin, alors qu’il avait réellement rencontré quelque chose d’invisible. L’enfant, devenu conscient de ce qui l’entourait, et mû comme par innocence en face du mystère qui se dissimulait à cet endroit, reprit son exploration et, prudemment, gravit les marches de l’autel. Il ne voyait rien autour de lui, mais pouvait sentir l’église, sa présence, immuable, dans l’espace et le temps, sa dimension propre, intégralement intacte, telle que personne avant lui ne l’avait perçue ni sentie. Les yeux sont le sens premier, à l’homme qui vit dans le monde, mais l’esprit est le premier mot qui traverse celui qui rencontre le sacré. Quand les mots deviennent sensés, la pensée, qui voit l’esprit, lui prête parole. L’esprit naissant dans cet enfant remplissait une église, lorsque sa mère, qui l’avait cherché, le vit, en suspens, semblant flotter à un mètre au-dessus du sable, comme un ange impassible. Et tout ce monde-là se tourna vers l’église. Et ils virent l’enfant. Ils ne purent rien dire, mais ils avaient soudain compris. Et tandis que l’angélus sonnait midi, leur vie reprit son cours, paisiblement, plus profonde et plus belle que jamais.
Un homme bien connu des habitants de Scrignac, en la personne du maire, s’approcha du prêtre de la paroisse, qui priait en observant ostensiblement une attitude flegmatique, et lui adressa, déboussolé, ces quelques mots de solidarité :
— J’espère qu’il n’y avait personne à l’intérieur de l’église, pendant la nuit...
Le prêtre, offusqué, lui rétorqua :
— Pourquoi ? Pourquoi ?
— Parce que s’il y avait eu quelqu’un, il serait porté disparu.
— Mais non ! Mais non ! Bien-sûr qu’il n’y avait personne, c’est absurde de penser ça, voyons !
— On ne peut que s’en féliciter, conclut le maire, qui alla rejoindre ses conseillers.
La journée s’annonçait longue, mais déjà, les familles reprenaient leur routine, en s’efforçant d’oublier ce qui n’avait ni vraiment de nom ni de comparaison. Chacun était encore sous le choc, personne n’avait rien vu venir, et nul ne savait quoi penser. Devant l’impossible, l’irrationnel, l’absurde qui confine au mysticisme, nous sommes partagés entre un sentiment de crainte, un besoin d’effacement, et la recherche de la faute. À qui la faute ? Personne n’osait en parler. Des idées, on s’en fait toujours, mais quand survient un événement aussi fou que celui-ci, personne n’a l’audace de dire exactement ce qu’il pense. Du moins, pas immédiatement, pas avant le temps de la réflexion. Avec le temps, comme envers toute disparition, le deuil s’accomplit, quel qu’il soit, celui de son prochain, d’un parent, la mémoire d’un disparu, ou un monument, comme cette église, une tombe ensevelie, une adresse oubliée, une maison désertée avec ses quelques meubles, ses habitants, ses souvenirs, tout ça ressassé par les marées du temps, jusqu’à leur évanouissement dans l’océan du monde, jusqu’en nous-mêmes aussi. La mémoire, source de vie, reprend alors la parole, et ce sont des mots utiles, des signes d’humanité, des témoignages d’amour, qui restent après tout le reste.
Nombre de petits groupes, qui s’étaient déplacés pour assister au phénomène, tournaient progressivement le dos à l’église disparue, lorsqu’un enfant, un petit garçon d’environ six ans, qui avait échappé à la vigilance de ses parents, courut vers l’entrée du sanctuaire, nommée narthex, et se promena dans la nef en souriant, étrangement guidé par une intuition qui rend les jeunes enfants, en secret, plus grands que les adultes. En se dirigeant vers l’autel, il trébucha sans se faire mal, seulement étonné par l’apparente absence d’obstacle sur son chemin, alors qu’il avait réellement rencontré quelque chose d’invisible. L’enfant, devenu conscient de ce qui l’entourait, et mû comme par innocence en face du mystère qui se dissimulait à cet endroit, reprit son exploration et, prudemment, gravit les marches de l’autel. Il ne voyait rien autour de lui, mais pouvait sentir l’église, sa présence, immuable, dans l’espace et le temps, sa dimension propre, intégralement intacte, telle que personne avant lui ne l’avait perçue ni sentie. Les yeux sont le sens premier, à l’homme qui vit dans le monde, mais l’esprit est le premier mot qui traverse celui qui rencontre le sacré. Quand les mots deviennent sensés, la pensée, qui voit l’esprit, lui prête parole. L’esprit naissant dans cet enfant remplissait une église, lorsque sa mère, qui l’avait cherché, le vit, en suspens, semblant flotter à un mètre au-dessus du sable, comme un ange impassible. Et tout ce monde-là se tourna vers l’église. Et ils virent l’enfant. Ils ne purent rien dire, mais ils avaient soudain compris. Et tandis que l’angélus sonnait midi, leur vie reprit son cours, paisiblement, plus profonde et plus belle que jamais.
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